Défi Écrivain d’une soirée

Bonsoir à toutes et tous

Merci d’avoir participé à cette soirée d’écriture-plaisir, vous étiez 15. Nous saluons le premier texte très fort en émotions. Merci Bernard ! Il répond au sujet 1, le portrait.

Autoportrait au cigare de Rik Wouters
Musée royal d‘Anvers

Et le sujet n 2

Oeuvre de Bernadette Maille 2016
Techniques mixtes collection privée

Nous publierons les dix meilleurs textes pour les deux sujets.

bonne lecture, merci de vos commentaires.

Les plumes

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36 réponses à Défi Écrivain d’une soirée

  1. Yvonne Tarabal dit :

    Bonjour à tous, écrivains et écrivaines,

    Je me suis régalée avec ce foisonnement de textes, bravo pour l’imagination et le style.
    Rome est toujours dans Rome, et c’est de là que j’écris, mais les séances créatives avec Odile nous manquent! Au lieu de me laisser engloutir par les traductions, je vais essayer de rejoindre la troupe et donner libre cours à ma pensée volage! Sans doute la meilleure recette pour combattre le stress! En route pour de nouvelles aventures et merci aux Plumes!

  2. Odile zeller dit :

    Encore un texte sur le deuxième défi
    Merci Claude

    Daily 13 sept 2016
    Je me demande bien pourquoi j’ai fait ce montage. Et encore plus, pourquoi l’avoir adossé à une tenture péruvienne achetée il y a plus de trente ans à Caracas. C’est qu’Il se passe quelque chose d’inattendu : je mets en scène ma vie d’expatrié chronique.
    Pourquoi ? Pour qui ? Je ne sais. Seule la voix de l’esprit d’aventure me pousse. Elle résonne au plus profond. Là, où seul l’inconscient sait de quoi il en retourne. Alors, j’ai récupéré la boîte où dormaient les photos, les phrases griffonnées, les articles découpés ici et là selon l’humeur des jours. Et je trie. Je jette. Je ne garde que les éléments me permettant de relier les fils de mon existence aux cinq continents.
    C’est pourquoi l’austère façade de la conciergerie de Phnom-Penh surplombe un début d’information sur le tamarinier suivi de cette précision absolument essentielle sur la Tamise : Elle traverse Londres.
    Et si vous vous demandez qui est Victor Man… imaginez un homme immense, noir de jais, responsable de toute la Réserve de Nairobi. Vêtu de kaki, la tête couverte d’un képi digne de Kléber, il parcourait son domaine à longueur de journée, inspectant minutieusement chaque plante, chaque arbre, chaque brin d’herbe sauvage. Pourchassant les braconniers. Sans intérêt, me direz-vous. Sans doute. Mais pour moi qui ait vécu dix ans auprès de lui, cette image, somme toute insignifiante, m’émeut. Victor Man n’est plus. Il a disparu quand les Mau-Mau ont décidé de se débarrasser des Anglais et de ceux qui travaillaient avec eux.
    En dépit des guerres, les tamariniers du Cambodge sont toujours là. Leur ombre protège encore et encore les enfants jouant dans la poussière des rues. Rien de plus désaltérant que le mélange acide et sucré de leurs fruits. Du temps de la colonisation, la brise vespérale projetait des courbes légères sur la Conciergerie de la Résidence quand elle jouait dans les branches de ces arbres aux feuilles souples.
    Contraste entre une architecture rigide et solennelle et une nature luxuriante et indisciplinée.
    Pourquoi faut-il que nos esprits bâtisseurs oublient si souvent les lignes naturelles qui nous entourent ?
    S’ils les contemplaient leurs œuvres souriraient-elles davantage ?
    Je survole les genêts et les pins nord-américains. L’épreuve est floue à cause du brouillard d’un automne inamical cette année-là. Mais je la garde. Elle seule me relie à Laura.
    Mon amie d’enfance si jeune quand elle disparut pour de bon. Nous jouions dans ce bois. C’est là que pour la dernière fois nous avons ri et nous sommes embrassés. Pour ses parents, notre relation amoureuse était inacceptable. Elle irritait tellement sa mère. Je n’étais qu’un bon à rien. Je ne faisais pas partie de leur milieu. Pourquoi m’avait-elle choisi ? Pourquoi l’avais-je aimée ? Encore une fois, l’esprit d’aventure.
    Collage au papier jauni. Choix d’éléments disparates. Mélange de langues, de lieux. C’est bien de toutcela qu’est faite ma vie d’expatrié chronique. De ceux qui ne se fixent jamais. Le monde est si vaste qui les appelle. Une attirance si forte, qu’ils sont obligés de de suivre l’élan qui les pousse, sans savoir pourquoi. Et si ce collage parle d’événements tragiques, c’est parce que le 13 septembre 2016, j’ai décidé que le poids de ces tristesses disparaîtrait de mon existence.
    Aujourd’hui, je m’attache au présent et, si vous voulez bien me suivre sur ce sentier, nous parlerons alors de celle qui m’attend patiemment tandis que je termine ce texte d’adieu à mon passé tumultueux.
    Claude Klein

  3. Odile zeller dit :

    Texte de Muriel, la maman de Clémence

    Fashion Week de Paris, 3 octobre 2017
    Les flashs crépitaient ; les applaudissements, assourdissants, lui donnaient presque le tournis… Son nom était scandé frénétiquement de tous les côtés. Tout cela semblait si irréel, si décalé, aux antipodes de sa vie passée…
    Sa vie passée? Mon dieu, que cela lui semblait lointain… Qui eût cru qu’à peine plus d’un an auparavant, il s’apprêtait à affronter l’automne froid et pluvieux de la capitale, avec comme seul toit quelques tôles gondolées, comme seul matelas un tas de vieux cartons ? Ses affaires personnelles tenaient dans un vieux sac en toile, qu’il avait renforcé à maintes reprises afin d’en préserver les quelques trésors : deux ou trois vêtements, des affaires de toilettes, une petite trousse de secours mélangeant médicaments et matériel de couture, et surtout l’album souvenirs de sa mère, dans lequel elle avait conservé religieusement photographies, coupures de journaux et lettres diverses. Cet album, c’était tout ce qu’il lui restait d’elle ; et dans ses nombreux moments de solitude, en tourner les pages cornées et jaunies lui apportait un réel réconfort.
    Un an auparavant… Le début du mois de septembre ne présageait rien de bon pour tous ceux qui, comme lui, vivaient dans la rue. L’été avait pris fin prématurément, et ses habits usés lui permettaient difficilement de lutter contre l’humidité et le froid de la nuit.  Il ressentait aussi cette détresse profonde qui lui venait de l’intérieur, l’engloutissant peu à peu. En désespoir de cause, ce 13 septembre 2016, il sacrifia son bien le plus précieux : il cousit ensemble les inestimables souvenirs de l’album, espérant construire, par cette simple tunique de papier, un rempart contre le mauvais temps, contre le mauvais sort…

    Et en ce jour de clôture de la semaine de la mode, exactement 385 jours plus tard, les motifs du patchwork qu’il avait ainsi créé apparaissaient sur chaque jupe, chaque robe, chaque foulard du défilé final, symboles éclatants de sa revanche sur la vie.

  4. Odile zeller dit :

    Texte de Mireille Bousset

    Ma très chère Mère,

    Voilà si longtemps que nous nous sommes vus. Est-ce que je vous ai manqué ? Avez-vous seulement pensé à moi de temps en temps. Vous êtes-vous seulement inquiétée de ce que je devenais depuis que vous m’avez indiqué la porte à franchir de façon définitive ?
    J’étais très jeune à l’époque et j’avais refusé de reprendre le flambeau. Mon vieux père venait de décéder. Sans vraiment être complice, nous avions de l’affection l’un pour l’autre. Mais vous…rien ! Ni pour l’un, ni pour l’autre. Aucun sentiment palpable. La seule chose qui vous intéressait, si je ne me trompe pas, c’étaient vos revenus, votre argent, votre train de vie ! La mort de Père était mal venue, elle n’avait pas été préparée. Vous étiez incompétente pour gérer le patrimoine qui nous revenait. J’ai bien dit « nous », parce que, à l’époque, vous ne m’aviez pas parlé ainsi. Vous m’aviez laissé croire que vous héritiez de tout, mais depuis j’ai appris et j’ai compris.
    Je voulais poursuivre mes cours aux beaux-arts, je n’avais aucun attrait pour les finances, la bourse, la banque… Tout cela était de l’hébreu pour moi. Et vous, vous n’avez pas saisi dans quelles difficultés je me retrouvais devant votre demande à laquelle j’étais incompétent à répondre.
    « Comment, ce fils que j’ai mis au monde dans la souffrance refuse de m’aider, moi une pauvre femme qui vient de perdre son époux ? » Voilà les propos que j’ai entendus.
    Vous me proposiez de m’initier à tous ces chiffres et ces affaires avec votre comptable préféré. Avez-vous seulement pensé un instant que je venais de perdre mon père ?
    Je ne vous étais plus utile et vous m’avez rejeté, non sans m’avoir fait signer une liasse de papiers. J’ai compris plus tard que mes signatures avaient eu des effets néfastes sur mon héritage ! Mais qu’importe ! Je me sens riche aujourd’hui et si je vous écris c’est pour vous en informer.
    Oui j’ai galéré des mois et peut-être des années mais au moins, j’ai vécu mon rêve. Je suis maintenant un peintre et un peintre reconnu. Mes tableaux se vendent bien et sans avoir fait fortune, j’arrive à vivre confortablement. J’évolue dans un monde artistique qui me plait et m’enrichit quotidiennement.
    De ma vie privée et personnelle, je ne vous dirai rien !
    Suis-je marié, fiancé, père de famille, célibataire ? Vous ne le saurez pas. En tout cas pas par moi. J’estime que cela na vous regarde pas. Votre indifférence à mon égard ne mérite pas davantage.
    Par contre je vous envoie cette toile. Il s’agit de mon autoportrait.
    Reconnaissez-vous votre fils ? Ce fils que vous avez mis au monde il y a si longtemps. Savez-vous seulement mon âge ? Regardez bien mes yeux : ils vous défient. Que pensez-vous de ma tenue ? Un peu bohème, non ? Et ce cigare ? Un peu agressif à vos yeux non ? Un homme qui fume en présence d’une femme, un fils qui fume devant sa mère, indécent non !
    Sachez que je n’ai pas fait ce tableau pour vous, mais quand je l’ai terminé, j’ai pensé que je pouvais vous le faire parvenir.
    Je voulais juste vous montrer que j’avais réussi dans la voie que j’avais choisi.
    Mon portrait vous en faites ce que vous voulez, mais je vous conseille de le vendre. Vous verrez il peut rapporter gros !

  5. Odile zeller dit :

    Texte de Martine Forret

    DECEPTION
    Un si beau jeune homme et pourtant si triste. Son regard limpide est noyé de larmes.
    Que lui est-il arrivé? Un chagrin d’amour? Un parent proche disparu? L’annonce d’une maladie? Rien de tout cela. Ce garçon prometteur vient d’apprendre qu’il ne pourrait pas intégrer la prestigieuse école de peinture pour laquelle il avait postulé.
    Sa bouche est pincée, on ressent tout le désarroi et la déception dans cette crispation.
    Il a pourtant l’allure du peintre parfait. Son chapeau lui sied à merveille, sa vareuse est bien coupée et son écharpe est en accord avec la couleur de ses yeux.
    Ses premières huiles et ses premières toiles, il les avait achetées avec son propre argent, gagné grâce à un emploi de serveur dans une grande brasserie. Il n’avait jamais compté ses heures, il en était très fier. Il s’était attiré les foudres de son père qui ne comprenait pas la passion qui habitait son fils. Personne dans la famille n’avait eu pareil délire. Ils étaient notaires de père en fils et il n’y avait aucune raison que cette coutume bien rodée s’arrête.
    Sa mère, par contre l’encourageait, mais n’osait pas l’avouer à son mari. C’était une femme soumise qui avait épousé cet homme pour faire plaisir à ses parents. Leur union avait été pour les deux familles l’occasion de faire prospérer leurs offices notariaux respectifs. Un garçon et une fille étaient nés rapidement et leurs avenirs étaient tout tracés. Le garçon serait notaire et la fille épouserait un notable, rien ne devait entraver ces deux destinées.
    Il avait été un enfant timide et docile, redoutant l’autorité de son père. Elève moyen et rêveur, il était surtout doué pour les matières qui touchait à l’art. Il était très proche de sa soeur cadette qui souvent le consolait lorsqu’il avait rapporté une mauvaise note et s’était fait réprimandé.
    A dix huit ans et pendant trois années qui lui avaient paru interminables, il avait entamé des études supérieures qui l’avaient profondément ennuyé. C’est après cette période déprimante qu’il avait décidé de tout abandonner et trouvé son emploi de serveur. Il plaisait beaucoup aux jeunes filles mais aussi aux femmes mûres. Son physique et sa timidité attirait également quelques hommes ce qui, quelques fois l’avait troublé. Ce travail lui avait permis de rencontrer des artistes qui avaient bien voulu regarder quelques unes de ses toiles et l’avaient encouragé dans cette voie.
    Il avait commencé à copier ses maîtres, puis avait trouvé son propre style. Il avait fait le portrait de sa mère et sa soeur malgré son impatience avait accepté de poser pour lui. Tout cela s’était fait bien sûr dans le plus grand secret.
    Il avait finalement quitté la maison. Il ne supportait plus les critiques de son père qui avait fini par le renier.
    Il avait trouvé une petite chambre et s’était inscrit dans un cours de peinture. Son modèle préféré était une cliente de la brasserie, une jeune et jolie blonde, pas farouche, dentellière de son état. Poser nue était tout naturel, elle était sans complexe et entreprenante. C’était également une maîtresse exquise.
    Son professeur le trouvait doué et l’avait encouragé à faire une demande dans une école de peinture renommée. Il pouvait également obtenir une bourse d’études.
    Il était enfin heureux et confiant. Le dossier n’était pas difficile à remplir. Son nom Mounet, son prénom Ernest, sa date de naissance 20 mars 1890, son adresse 5 quartier la Duchère à Lyon 8ème. Les documents, il les avait postés le jour de ses 25 ans, la première journée de printemps. C’était un bon présage. Il avait également envoyé deux de ses croquis.
    Puis il avait attendu la réponse. Elle était arrivée au bout d’un mois. Il se souvient encore avec quelle fébrilité il avait ouvert le courrier. Mais au fur et à mesure qu’il lisait la lettre, son visage se décomposait et les larmes lui montaient aux yeux. Les termes de la missive étaient laconiques, sans vraiment de justifications. Et c’est surtout cela qui l’avait déçu : ne pas savoir pourquoi. Après la déception, la colère s’était emparé de lui. Il avait envie d’aller voir tous ces technocrates qui ne reconnaissaient pas son talent, car il en était sûr, il en avait.
    Une fois son emportement retombé, il s’était fiévreusement emparé de ses pinceaux, de ses huiles, s’était habillé, avait allumé un cigare et avait fait cet autoportrait qui plus tard lui avait valu la reconnaissance du public et de ses pairs.

  6. Odile zeller dit :

    Sujet numéro 2
    Texte de Clémence (12 ans)


    13 septembre 2016. Londres. 23h01. Coucou papa. Voici des nouvelles qui t’auraient comblé… le cadavre porte un costume où est épinglée une étiquette : M. Baker, concierge. Oh. Qui pourrait vouloir la mort d’un simple homme comme celui-ci ? ç’aurait été plus probable si ç’avait été le président. Bref, je n’en sais rien. Une alarme retentit. La police arrive. Je peste. Je ne pourrai donc pas mener une enquête tranquille.
    Jack.
    14 septembre 2016. Londres. 00h43. C’est encore moi. La police a emmené le corps. En fouillant le parc j’ai découvert un papier, composé de bouts de papier cousus ensemble. Dessus je déchiffre plusieurs mots : « somme de trois », « elle est si jeune, d’autant plus irritée » ; et enfin un nom : Victor. Je ne connais aucun Victor. J’analyse la lettre. Je remarque des taches de sang. Étrange… j’essaye de comprendre le sens des éléments : peut-être que la jeune fille mentionnée a quelque chose à voir avec le meurtre…
    Jack.
    29 septembre 2016. Londres. 13h05. J’ai un indice. Un jeune homme nommé Victor vient d’emménager, accompagné de sa petite sœur et de son petit frère, ce qui expliquerait l’inscription « la somme de trois ». Ils ne semblent pas en très en bon termes, surtout la plus jeune qui parait contrariée…
    Jack.
    25 décembre 2016. Londres. 12h32. Salut papa. C’est de plus en plus troublant. J’ai appris les prénoms de cette fratrie : Victor, Victor Jr et Victorine… quel genre de parents appelleraient leurs trois enfants ainsi ?
    Jack.
    18 février 2017. Londres. 10h46. Salut papa. Je sais que je ne t’écris plus beaucoup, et je voulais te dire que j’ai déchiffré l’énigme : les trois “enfants” sont des assassins. La fille est responsable du meurtre, ses frères sont complices et le concierge… était leur père. Ils l’ont tué. Je ne comprends pas comment on peut tuer son père, et je sais quel effet ça fait de perdre ses parents. Ces lettres ne serviront à rien, alors je vais les brûler. Merci de m’avoir écouté à travers ton cercueil, papa.
    Adieu.
    Jack Holmes.

    • Claude Klein dit :

      Holà, mon fils, tu me poses une question bien compliquée. Là où je suis, j’essayerai de parler au concierge assassiné. Te promets rien mais qui sait, peut-être a-t-il une réponse. …
      Quant à toi, tu portes un nom, qui, associé à Londres ( London), est célèbre à travers le monde. Quelle idée avons-nous eue, ta mère et moi de t’appeler ainsi!
      Que veux-tu, les décisions sont parfois irréfléchies et te voilà lancé sur les traces d’enfants parricides! Tu as une longue carrière devant toi. Amuse-toi et trouve un secrétaire capable de suivre ta pensée et tes recherches.
      Adieu, mon fils.
      Sherlock J. Holmes

      P.S. As-tu découvert Jack London?

      • Odile zeller dit :

        Merci Claude
        Bravo pour cette bonne idée

        A bientôt

      • Clémence dit :

        Mon cher Papa,
        Je suis si heureux d’avoir de tes nouvelles.
        J’espère que tout va bien là-haut.
        Hier avec Croc Blanc, le chien que Mamie m’a offert peu après ta mort, nous sommes retournés sur les lieux du crime. Et devine quoi? la fille était là. J’ai voulu m’approcher pour lui parler mais Croc Blanc s’est mis à aboyer et elle s’est enfuie. Depuis, je ne quitte pas ma fenêtre pour guetter si elle y retourne et elle est revenue deux fois depuis hier. Elle répète sans cesse le même manège : elle arrive, regarde autour d’elle et s’assoit sur le même banc à chaque fois. Environ un quart d’heure après, elle se lève, regarde autour d’elle à nouveau et s’en va en courant. Pour l’instant, je ne comprends pas, mais je compte bien y arriver.
        Je te donnerai des nouvelles plus tard.
        Au revoir Papa!
        J. Holmes & 🐾

  7. Odile zeller dit :

    Texte de Laurent Lavagne

    Dernier portrait
    – « Au suivant ! »
    L’homme se leva tranquillement de sa chaise et alla prendre la pose au dehors, accompagné par ce petit bruit de métal qui ne le quittait plus depuis ce matin. Il tira quelques bouffées du cigare qu’on venait de lui offrir et planta son regard dans celui qui venait de l’appeler.
    – « Alors, mon gaillard, on fait moins le malin maintenant… Reste tranquille et profites de ton cigare ! Je n’en n’aurai pas pour trop longtemps à te tirer le portrait. »
    Impassible aux sarcasmes du vieux peintre, le jeune homme continuait à le fixer de son regard froid. Le visage serein, il portait une belle moustache de cow-boy qui le vieillissait un peu. Déjà sur la toile, sa silhouette noire apparaissait sous les traits rapides du peintre. Emmitouflé dans son grand manteau et coiffé d’un chapeau tout aussi noir, son visage semblait rayonner de l’intérieur.
    Passant machinalement de son sujet à la toile, le peintre ressentit une impression bizarre. Rien de spécial ne se dégageait habituellement de ces hommes qu’il peignait
    rapidement sans trop faire attention. Sauf aujourd’hui, pour cet homme. Le fixant à nouveau, il ne put se détacher de ce regard, fasciné. Les yeux bleus semblaient le défier de le peindre et de le saisir dans tout son être. Revenant à sa toile, il reconsidéra son esquisse et reprit sa peinture d’une toute autre façon, pour la première fois. Il commençait à aimer son sujet. Et ne voulait maintenant plus le lâcher.
    – « Alors l’artiste, dit le shérif, ce n’est pas un peu bientôt fini ! Tu traînes moins d’habitude… Je te rappelle qu’il te reste d’autres clients. Et le soir approche. »
    Tout comme ses compagnons, voleurs de bétail, l’homme devait bientôt se balancer au bout d’une corde après s’être fait tirer le portrait par l’artiste du village, pour rejoindre la galerie d’accueil à l’entrée du village.

  8. Odile zeller dit :

    Texte de Janine

    Comment vous parler de lui alors qu’il a bouleversé ma vie. Vous allez vous
    moquer j’en suis sûre mais quand nous nous sommes rencontrés, nous avions
    20 ans et c’était le printemps. A quelle date ? Vous voulez savoir quand ? Quelle
    importance et de toutes façons je ne m’en souviens pas, je sais seulement que
    c’était le premier jour du printemps. Cela devrait vous suffire comme indice et
    comme toutes les amours naissantes, nos regards se sont trouvés et ne se sont
    plus quittés. Il est beau n’est-ce-pas mon amoureux ? Il a un regard profond, l’air
    intelligent, et une tenue romantique. C’est d’ailleurs ce qui m’a tellement séduit
    chez lui. Nous étions dans un jardin en fleurs, et un doux parfum nous
    ensorcelait. Je marchais, pieds nus, dans l’herbe folle, à sa rencontre. Il m’a
    tendu la main, sans parler. Les mots étaient inutiles puisque nous nous
    comprenions dans le silence, l’émotion, l’exaltation. Un fil d’Ariane était tendu
    entre nous, qui ferait que nous ne serions jamais séparés. Nous étions victimes
    d’un sentiment magique qui s’appelle amour et voulions boire jusqu’à plus soif
    le philtre qui nous unirait à tout jamais. Il a caressé ma joue d’un geste tendre, a
    piqué une rose rouge dans ma chevelure, m’a souri d’un air complice comme
    pour me dire « c’est toi que j’attendais. Maintenant que j’ai croisé ton chemin, je
    suis pleinement heureux». C’est à cet instant que j’ai vu ses mains. Des mains
    d’artiste, longues, fines, blanches. Un poète était venu me chercher. D’où venait-
    il ? Sûrement d’une autre planète où il allait m’emmener,sur un tapis volant, au-
    dessus des nuages, loin des guerres, des mensonges, et des maladies. D’un geste
    gracieux, j’ai relevé ma longue robe, pour monter sur le tapis volant qui nous
    attendait, prêt à partir. Nous n’avions plus une minute à perdre car une sonnerie
    annonçait le moment du départ…. quand je me suis réveillée en sursaut,
    tétanisée par l’outrecuidance de mon réveil matin.
    Janine Père

  9. Odile zeller dit :

    Texte de Virginie Demange

    Te souviens-tu mon Amour ? Nous étions deux enfants, au sortir de la guerre… Mussolini était mort, des militants néo-fascistes venaient de dérober sa dépouille, nous riions aux éclats en les imaginant. Qu’allaient-ils faire de son corps ? L’empailler pour l’exposer ? Madame Viscardi faisait les gros yeux. Les enfants, grondait-elle, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de vous ? Allez, séparez-vous. Toi, Nino, au fond, et toi, Agata, viens près de moi. Nous séparer ? Mais quelle drôle d’idée. Si elle savait, la Visca, que jamais ô grand jamais nous n’avons pu nous éloigner l’un de l’autre !
    Du jour où je t’ai aperçu, chapardant des olives dans le champ du vieux Manuel, j’ai su. Oui, Amore mio, du haut de mes dix ans, j’ai su que je serais tienne et que je ne te quitterais jamais. Tant que Dieu me prêterait vie.
    Mamma disait que nous avions de la chance, te souviens-tu Nino ? Vous êtes libres, chantait-elle, libres et chanceux, soyez heureux les amoureux ! Il fallait reconstruire le pays et nous, nous avions tout à construire.
    C’était il y a 70 ans. Je la revois, ma mère, si belle, si douce, si aimante, la peau laiteuse et la poitrine généreuse d’avoir nourri ses sept enfants, et je te revois, toi, sérieux comme un pape dans ta tenue d’enfant de choeur, le dimanche matin à l’église. Tu chantais en latin, et mes yeux ne quittaient pas tes lèvres. Comme tu étais beau.
    Et comme j’étais fière quand tu m’as donné la main pour la première fois. Mon coeur battait si fort que j’ai cru qu’il allait sortir de moi.
    Que de premières fois nous avons vécues tous les deux, toutes ces années… Premier baiser, première dispute, première réconciliation. Première Fois, avec un grand F, j’avais si peur, t’en souviens-tu, dis ? Nous avions quinze ans, nous étions malhabiles, tremblotants, hésitants. Je peux encore sentir l’odeur d’humidité dans la petite conciergerie abandonnée, la mousse dans mon dos et la douceur de tes mains sur ma peau. Premier voyage, premier vol vers la France, quel coup de coeur ! Je ne savais pas, alors, que nous déciderions de quitter l’Italie pour Paris. Ah, Parigi ! Premier appartement, premier procès à plaider pour toi, mon bel avocat, première classe de CP pour moi, ils m’appelaient l’insegnante. Première grossesse, première douleur, premier malheur, et première perte. Nous l’avons appelé Victor, ta nonna disait il vincitore. Il faut vaincre le diable.
    Qu’il aille au Paradis, ce petit. Il m’attend, je le sais. Serena veillera sur toi. C’est une bonne fille, il faut que tu te reposes sur elle mon Amour. Ses enfants sont fous de leur nonno, embrasse-les pour moi, veux-tu ?
    J’aurais voulu rester plus longtemps à tes côtés… Le Seigneur en a décidé autrement. La maladie me prend toute mon énergie. Je sens la vie me quitter, mais les souvenirs sont intacts. Je les emporte avec moi, comme je te porte dans mon coeur. Pour toujours. Où je vais, je t’attendrai, Amore mio.
    Comme aurait dit l’abate Giovanni, qui te donnait des coups sur la tête, quand il te prenait à boire du vin de messe, mais qui nous a mariés, bénis, et confessés chaque été, à notre retour à Volpaia, jusqu’à la fin de sa vie… Vale, familia mea, amor meus, vita mea*.
    La tua Agata per siempre
    *Adieu, ma famille, mon amour, ma vie. En latin dans le texte

  10. Emilie Kah dit :

    Quelle belle idée, Bernard ! Acheter une de ses propres oeuvres de jeunesse. S’émouvoir en songeant au jeune artiste qu’on fut et à son modèle qui n’est plus.

  11. Odile zeller dit :

    Texte de Marc Dalberto

    Nel

    Le jour où Rik a pris la décision de quitter Nel, le courage lui avait manqué. Il avait passé une partie de la nuit à griffonner des lettres sans jamais pouvoir en terminer une. Il essayait en vain de se trouver une excuse mais finissait toujours par s’embrouiller dans des explications confuses et sans fondement. Leur deux années de vie commune s’étaient pourtant déroulées sans heurt. Mais la passion qui les avait animés s’était rapidement dissoute dans une existence routininière et sans piment. Bruxelles, ce matin, se réveillait dans le brouillard. Il se lèverait probablement au moment de midi. Pendant qu’il écoutait le souffle tranquille de Nel qui dormait encore, Nick admira la courbe que ses hanches dessinaient sous le drap. Il se souvint du galbe de ses jambes, de la courbure du mollet et de la finesse de la cheville qu’il avait maintes fois reproduits sur la toile. Nel lui servait de modèle et le peintre pensa subitement que le corps de sa maîtresse lui était devenu si familier qu’il ne pourrait plus rien y découvrir.
    Pendant un instant le regard de Nick se posa sur le large miroir surplombant l’évier. L’image que lui renvoyait la glace lui sembla surfaite et arrogante. Il avait l’air fatigué. Rompu. À l’opposé de ce qu’il aurait souhaité. Il observa longuement le désordre qui règnait dans la mansarde et en silence il s’installa à son chevalet.
    Nel, au réveil, s’étonna de ne pas trouver Nick à ses côtés. Elle se souvint qu’hier soir, ils avaient bu plus que de raison. Elle avait dormi dans un sommeil lourd, sombre, presque lugubre. Et le soleil qui maintenant entrait par pans entiers dans la sous-pente lui brouillait la vue et lui cacha un moment le tableau que Nick venait d’achever. Elle se leva péniblement, engourdie de sommeil elle heurta le chevalet. Il s’était représenté, sur un fond de tâches colorées, coiffé d’un large chapeau noir, le regard malicieux, et un cigare en équilibre posé au coin des lèvres. Sur un petit feuillet épinglé en haut du tableau il avait écrit:” Je suis parti chercher des allumettes.“

    • Odile zeller dit :

      Un instantané, un bel humour aussi, j’en apprécie la concision qui donne de la force au texte, merci

    • martine estrade dit :

      cher Bernard,
      texte vraiment élégant et esthétique, très fort, où l’humour sert de pudeur à la tragédie. M’évoque la chanson “les dessous chics ” de Gainsbourg. Original et d’une rare concision et précision.

  12. Janine Magnani dit :

    Un grand merci, Bernard, pour ce texte émouvant. Le lire et le relire a été un vrai plaisir.

  13. Régine dit :

    très touchant, bravo !

  14. Janine dit :

    Très beau texte Bernard. Bravo !
    Janine Père

  15. Odile zeller dit :

    Voici le premier texte !

    DAVID
    J’ai eu un choc lorsque je l’ai découverte au milieu d’autres toiles. J’étais entré chez ce brocanteur sans idée préconçue. J’aime bien découvrir de vieilles toiles signées par des inconnus. Elles sont souvent attendrissantes de bonne volonté. On appelle souvent cela des croûtes. On ne devrait pas, c’est méchant et prétentieux. C’est oublier un peu vite toute la passion que „l‘artiste“ y a mis. Mais en voyant cette toile de 30cm sur 40cm j’ai vraiment eu un choc. C’était pour moi un retour dans le passé et aussi un mystère. Comment cette œuvre de jeunesse avait-elle fini chez ce brocanteur ? Je me rappelle seulement l’avoir donnée à une jeune fille dont j’étais alors fort épris. Quelle fut la destinée de « cette inestimable œuvre d’art ? Cela restera à jamais un mystère.
    J’ai regardé avec beaucoup d’intérêt ce que j’avais peint il y a bien longtemps, au début de ma carrière artistique. J’ai retourné la toile. Au dos il était encore écrit : février 1944 Paris.
    D’un coup je suis redevenu l’étudiant des Beaux-Arts pas très doué qui cherchait à être digne de l’enseignement de ses maîtres. J’ai longuement observé mon travail. Je me suis souvenu que c’était l’un des exercices imposés auxquels nous étions parfois soumis : „faire un portrait à l’huile en deux heures, en étant le plus spontané possible.“ J’ai regardé mon œuvre avec les yeux du peintre que je suis devenu. Le jugement a été sévère : on ne peut pas dire que c’est une croûte, mais ça s’en approche. On sent que j’hésite, que je suis tenté par le fauvisme sans trop savoir où mettre les couleurs pures. Pour être gentil, je vais dire que c’est plein de bonne volonté, mais qu’il y a encore du boulot. Et puis le cigare que mon modèle a entre les dents, n’est vraiment pas à sa place. J’aurais mieux fait de l’enlever. Il a l’air parfaitement ridicule. Pour résumé c’était l’époque où je cherchais à me distinguer des autres en étant aussi original que possible. C’était pas gagné, mais plein de promesses. Mon style, celui qui sera vraiment le mien et qui me fera connaître, ne viendra que bien des années plus tard après beaucoup de travail et d’échecs.
    J’ai acheté la toile parce que c’est avant tout un souvenir de celui qui avait posé pour moi. Il s’appelait David. C’était un garçon joyeux. Il était très beau et avait beaucoup de succès auprès des filles. Nous l’admirions tous. Il aurait sans doute connu la gloire artistique tant il était doué. Mais un jour il a disparu. Nous nous sommes tous posé la question : pourquoi était-il devenu invisible ? Certains pensaient qu’il avait rejoint la Résistance . D ’autres, et j’étais de ceux-là, qu’il avait été pris comme toute sa famille et envoyé en Allemagne. C’est effectivement ce qui s’est passé. J’ai sans doute là, entre les mains, l’ultime portrait de David Bernstein qui existe au monde. Je le garde. À mes yeux il vaut de l’or.

    Bernard Marsigny

    • Odile zeller dit :

      Très émouvant. Une histoire, une vie concentrée en un tableau. J’aime beaucoup le regard du peintre sur une œuvre de ses débuts. Cela me rappelle quand je reprends d’anciens textes. L’étonnement et les critiques. Merci

    • martine estrade dit :

      cher Bernard,
      un travail Proustien sur la force des traces , de la mémoire et du souvenir, une émotion qui nous concerne tous quand nous retrouvons des traces ou des oeuvres que nous avons laissé à une autre période. Où l’on se retrouve le même et un autre, où l’on réalise que l’on est la personne d’un moment mais aussi le chemin parcouru et l’autre de jadis en nous. une mise en abîme des éphémères inhérents à la vie particulièrement éloquente.bravo

  16. Clémence dit :

    Bonjour,
    Nous avons hâte de pouvoir lire les textes écrits lors de la soirée du 23 mars. Pouvez-vous me dire quand il est prévu qu’ils soient diffusés?
    Merci par avance!

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