Une peinture à l’hortensia
Elle lit, elle est tranquille, elle ne lèvera pas la tête. Pas la peine de la déranger. Elle ignore qu’elle pose. L’hortensia est au premier plan. Lui non plus ne pose pas. Ce n’est pas un sujet, juste un objet. Il fait l’ambiance. Enfin rien ne bouge, rien ne change, immuables tous les deux comme une nature morte, un peu triste comme l’hiver. Les couleurs seront pâles à part le bois de la porte ouverte, notre intérieur comme un huis clos. Si elle bougeait, qu’elle se levait, qu’elle prenait conscience de mon projet. Je ne fais que quelques esquisses, je note les couleurs. L’hortensia si pale et défraîchi. Tout se fige un instant. Le temps passe. Elle lève la tête, sourit, elle va poser, redresser le dos, les mains en suspension. La magie a explosé. Peu importe j’ai mes croquis. Il y aura une rose sur la nappe, rouge … une rose baccarat. Il n’y aurait jamais rien à même la nappe, il ne faudrait pas salir, tacher la blancheur du coton. Mais moi je l’y mettrais, j’ai bien le droit, c’est moi le peintre. La pointe de rouge, un peu décentrée, réveille l’atmosphère figée, feutrée, fait entrer la passion dans la maison. Un spot, une trace à peine visible, un énigme, un secret entre nous. On s’est aimé fougueusement. C’est un message au modèle pour la remercier, des inspirations pour le jeune peintre, de la patience … et de notre routine. Elle se repose maintenant. Une rose rouge pour l’odeur dans le silence parce qu’ici pas de musique, pas de cris d’enfants. Pas de térébenthine ni de chevalet, ni le pinceau qui gratte la toile, le crayon caresse le papier, soupire et s’essoufle … un hortensia si pale en esquisse …
Tiens, cette femme je l´ai déjà rencontrée. Dans cette même salle d´attente ?
Ce doit être une impression due au fait que cette scène se répète des milliers de fois chaque jour. Un salon anonyme aux couleurs fades, au fond aux patients ça leur est égal, ils ont en général d´autres soucis. Comme leur nom l´indique, ils doivent bien prendre leur mal en … patience ! Tous n´y arrivent pas, ils attendent en général leur verdict avec anxiété, feuilletant sans les voir les magazines de vieille date mis à leur disposition… Elle, c´est un peu différent, elle est là et elle ne l´est pas, n´affiche aucune inquiétude. Elle est plongée dans le monde de son roman, les yeux cachés sous son chapeau, le corps dissimulé sous une jupe exagérément ample. Le décor déprimant, les fleurs, moi – même, nous n´existons pratiquement pas.
Ah oui, les fleurs. Je déteste les hortensias. Prétentieux, grotesques. Encore plus ceux-ci, déjà un peu fanés, ils émanent une odeur presque autant désagréable que leur vue. On aurait d´ailleurs pu mettre le vase dans un cache – pot au lieu de le poser sur l´assiette probablement ébréchée du service …et repasser la nappe que l´on a jetée sur la table avec une négligence manifeste. Mais que prétendre d´un pot de fleurs dans un cabinet médical ? Un essai risible d´égayer une pièce morose. Le résultat opposé a été atteint, ces horribles hortensias nous rappellent que nous nous fanons un peu plus chaque jour et que le toubib pourra tout au plus ralentir un peu le processus.
Cette femme est déplacée dans cet endroit. Ah oui, la fleur rouge sur la table, celle – là, j´ai bien l´impression que la femme la regarde de par – dessous ses paupières mi – closes. Cette fleur là nous renvoie – t – elle une lueur d´espoir ?
L’hortensia, oui, très pâle, plutôt gris que bleu, trônait sur la table. Elle ignorait qui l’avait mis là, cette plante triste qui finirait dans un cou du jardin. Elle avait attrapé la grippe et penchée sur son livre elle avait du mal à se concentrer et somnolait. La table couverte d’une nappe blanche serait abîmée, elle le dirait à Marcelline. Qu’avait elle en tête cette fille, on n’en ferait jamais rien, elle venait de la campagne … aucune éducation… juste lire et écrire. Bien sûr elle prétendrait que c’était Monsieur et ce serait presque vrai mais si on laissait Monsieur mener la maison … un désastre… Monsieur aurait acheté cet hortensia … la fleuriste avait … ah oui la petite fleuriste du coin du boulevard, mignonne et toute fragile, celle où toussait à fendre l’âme, pauvre gamine … elle avait dû trouver en Monsieur un client compréhensif… ma foi on pouvait parfois se montrer charitable … elle n’y voyait pas bien … ses yeux … une tâche rouge sous la plante … une rose on dirait … c’était trop fort … la nappe, celle de sa grand mère … aurait une tache indélébile… Marcelline, Marcelline … oui ma fille, je vous appelle … cette rose, oui, la rose rouge, il lui faudrait un vase, un petit vase … en verre … vous voyez, ma petite… Monsieur, oui, il n’y connaît rien … il ne dira rien … pour moi, pour me faire plaisir ? Comme c’est gentil … faites moi un thé bien chaud … Monsieur rentrera tard … tant mieux … un consommé suffira, je vais me coucher tôt. Merci Marcelline, vous pouvez disposer ma fille, allez ….
Texte de Martine
Les Hortensias d’Elena
Les Hortensias dans le jardin d’Hendaye, c’est ce qui avait plu à Elena, l’avait émue au point qu’elle avait achetée cette petite maison, pour elle et pour Manuel, l’homme dont elle était tombée amoureuse et qui pour elle avait quitté foyer, cabinet médical en Bretagne pour venir s’installer au pays Basque français et vivre avec elle. Alors ils s’étaient mariés et elle avait acquis à leurs deux noms cette bâtisse ancienne modeste dont le jardin constituait le charme et abritait l’intimité de leur couple , à distance de leurs familles respectives si présentes.
Basques espagnols, ils l’étaient tous les deux. Manuel s’était exilé en France , sur la côte Bretonne, s’y était installé comme médecin psychiatre. Il avait une clientèle importante et le respect de ses collègues, apprécié pour sa discrétion et sa sensibilité, Avec ses revenus, il faisait vivre sa famille , sa femme infirmière qu’il avait épousée au début de son installation, ses enfants entraient dans l’âge adulte lorsqu’il avait connu Elena, une collègue psychologue, rencontrée à des séminaires parisiens qu’ils fréquentaient tous deux.
Elena était riche, très riche. Héritière avec deux sœurs et un frère d’une énorme fortune. Les trois sœurs vivaient dans des maisons mitoyennes dans un quartier chic de Bilbao. Dans la sienne, Elena avait remplacé le jardin par une piscine paysagée , elle n’aimait pas ni les fleurs , ni le jardinage. A 60 ans, c’était une belle femme qui en dehors de son travail à son cabinet à temps très partiel , se consacrait au maintien de son physique, pratiquant dès le matin les espaliers qu’elle avait installé chez elle ou nageant dans sa piscine et lisant des heures durant , ne s’interrompant que pour aller , seule , au cinéma. Elle jouait très bien au golf que lui avait appris autrefois son père, lequel en était champion. Elle avait peu d’amis, n’appréciait pas les rencontres amicales.
La maison de Bilbao n’était pas décorée, juste quelques tableaux, pas de fleurs qui auraient nécessité un entretien, une allure monacale qui, peut être lui rappelait le pensionnat de religieuses anglaises ou les trois sœurs avaient grandi et fait leurs études.
A l’époque où elle rencontra Manuel, elle cherchait un homme , espagnol et basque, il était le seul correspondant à ces critères, elle avait jeté son dévolu sur lui , était tombée amoureuse. Il avait quitté son foyer , divorcé, s’était à nouveau exilé dans un retour au pays où il ne vivait plus depuis des décennies. Pragmatique, toujours , Elena avait entrepris avec ses inséparables sœurs et la famille de sa nièce la vente des trois maisons et la construction d’un immeuble luxueux dont chacune occuperait un étage avec une terrasse, Manuel et elle occuperaient le premier étage, il y aurait une piscine, toujours pas de jardin. Elle venait depuis quelques mois d’y emménager après plus de deux ans de constructions et de travaux.
Dans l’appartement qu’elle avait acquis sur l’ile saint louis pour venir à Paris pour sa formation et ses séminaires , il y avait une terrasse avec des nombreuses plantes, des rosiers, un géranium magnifique, un bambou japonais, des lianes de fleurs magnifiques. Elena n’en avait pas voulu, refusant de l’entretenir alors qu’elle ne vivait pas à Paris et obturant de stores les fenêtres pour masquer le vis à vis de ce fait offert à ses voisins . Elle renonçait du même coup à sa vue sur les tours de Notre Dame sans état d’âme. L’ancienne propriétaire avait, choquée, emporté ses plantes avec elle. Cela faisait quelques mois qu’elle avait vendu cet appartement qu’elle possédait depuis 10 ans , où Manuel et elle s’étaient connus et où ils partageaient leur vie entre
Paris, la Bretagne tant qu’il n’eut pas déménagé son cabinet, et Bilbao.
La maison d’Hendaye avait été un coup de foudre et les hortensias bleus étaient devenus la passion d’Elena qui entretenait avec soin leur couleur. Cette vieille bâtisse biscornue tranchait avec la fonctionnalité habituelle de ses demeures lui rendait présente la nature et la vie végétale. Manuel y vivait et avait son nouveau cabinet dans la ville, ils y passaient des week end seuls, des vacances. Elle était trop petite pour accueillir la famille, elle n’abritait que leur couple de solitaires réunis, Elena , à 60 ans s’autorisait une vie intime et amoureuse.
Tout était allé très vite, ces derniers mois. Dès le mois de janvier, les évènements s’étaient succédés :, la vente de l’appartement parisien, la mort à plus de cent ans de sa mère , une enfant éternelle vivant entourée des dames de compagnie qui la servaient et sur qui veillait Elena qui disait ne l’aimer guère, son père disparu depuis 10 ans ayant eu l’exclusivité de son amour et de son admiration. l’emménagement dans le nouvel appartement à Bilbao, la demande de retraite de Manuel qui viendrait y vivre.
Elle était allongée sur son lit d’hôpital, une perfusion lui diffusait la chimiothérapie qui la rendait nauséeuse et hors d’elle même et de sa pensée, projetée dans ses sensations physiques, y compris la chaleur excessive de ce mois de juillet. Une seringue à morphine la maintenait dans un état comateux. Quelques jours plus tôt elle s’était rendue aux urgences à Bilbao, prises de violentes douleurs abdominales. Un cancer de l’ovaire envahissant le péritoine et les organes intrapéritonéaux avait été diagnostiqué.
En face d’elle , sur le mur, un surprenant tableau, une femme assise la tête recouverte d’un chapeau et sur une table, au premier plan un hortensia en pot. En l’accompagnant , désespéré, Manuel avait lu sur la porte d’entrée du services « les fleurs sont interdites dans le service d’oncologie ». Errant comme un somnambule dans la ville , il avait soudain vu ce tableau et l’avait acquis précipitamment pour qu’Elena le regarde quand elle ouvrait les yeux. Elle avait souri.
En septembre, son état s’était aggravé et elle avait été réhospitalisée , emmenant avec elle dans sa chambre son tableau à l’hortensia. Quelques jours plus tard , elle sombrait dans le coma et décédait. Le tableau suivit Manuel dans l’appartement de Bilbao où il vivait seul. Il était dans sa chambre, face à son lit. L’hortensia tout à la fois ravivait sa douleur et l’apaisait. Mutique et effondré il ne parlait à personne. Le week end il partait à Hendaye et s’occupait pendant des heures des hortensias d’Elena.
Nous sommes un atelier d’écriture créé à Ottawa en 2011. Notre thématique est d’écrire au Musée, devant les œuvres d’art. Nous avons publié des recueils de nouvelles, nous organisons un concours de nouvelles annuel depuis 2013. Les nouvelles sélectionnées sont publiées. Depuis 2015 nous sommes une association sous la loi 1901 dont le siège social est à Puteaux.
Une peinture à l’hortensia
Elle lit, elle est tranquille, elle ne lèvera pas la tête. Pas la peine de la déranger. Elle ignore qu’elle pose. L’hortensia est au premier plan. Lui non plus ne pose pas. Ce n’est pas un sujet, juste un objet. Il fait l’ambiance. Enfin rien ne bouge, rien ne change, immuables tous les deux comme une nature morte, un peu triste comme l’hiver. Les couleurs seront pâles à part le bois de la porte ouverte, notre intérieur comme un huis clos. Si elle bougeait, qu’elle se levait, qu’elle prenait conscience de mon projet. Je ne fais que quelques esquisses, je note les couleurs. L’hortensia si pale et défraîchi. Tout se fige un instant. Le temps passe. Elle lève la tête, sourit, elle va poser, redresser le dos, les mains en suspension. La magie a explosé. Peu importe j’ai mes croquis. Il y aura une rose sur la nappe, rouge … une rose baccarat. Il n’y aurait jamais rien à même la nappe, il ne faudrait pas salir, tacher la blancheur du coton. Mais moi je l’y mettrais, j’ai bien le droit, c’est moi le peintre. La pointe de rouge, un peu décentrée, réveille l’atmosphère figée, feutrée, fait entrer la passion dans la maison. Un spot, une trace à peine visible, un énigme, un secret entre nous. On s’est aimé fougueusement. C’est un message au modèle pour la remercier, des inspirations pour le jeune peintre, de la patience … et de notre routine. Elle se repose maintenant. Une rose rouge pour l’odeur dans le silence parce qu’ici pas de musique, pas de cris d’enfants. Pas de térébenthine ni de chevalet, ni le pinceau qui gratte la toile, le crayon caresse le papier, soupire et s’essoufle … un hortensia si pale en esquisse …
Texte de Loretta
Tableau de Fernand Khnopff
Un Hortensia
Tiens, cette femme je l´ai déjà rencontrée. Dans cette même salle d´attente ?
Ce doit être une impression due au fait que cette scène se répète des milliers de fois chaque jour. Un salon anonyme aux couleurs fades, au fond aux patients ça leur est égal, ils ont en général d´autres soucis. Comme leur nom l´indique, ils doivent bien prendre leur mal en … patience ! Tous n´y arrivent pas, ils attendent en général leur verdict avec anxiété, feuilletant sans les voir les magazines de vieille date mis à leur disposition… Elle, c´est un peu différent, elle est là et elle ne l´est pas, n´affiche aucune inquiétude. Elle est plongée dans le monde de son roman, les yeux cachés sous son chapeau, le corps dissimulé sous une jupe exagérément ample. Le décor déprimant, les fleurs, moi – même, nous n´existons pratiquement pas.
Ah oui, les fleurs. Je déteste les hortensias. Prétentieux, grotesques. Encore plus ceux-ci, déjà un peu fanés, ils émanent une odeur presque autant désagréable que leur vue. On aurait d´ailleurs pu mettre le vase dans un cache – pot au lieu de le poser sur l´assiette probablement ébréchée du service …et repasser la nappe que l´on a jetée sur la table avec une négligence manifeste. Mais que prétendre d´un pot de fleurs dans un cabinet médical ? Un essai risible d´égayer une pièce morose. Le résultat opposé a été atteint, ces horribles hortensias nous rappellent que nous nous fanons un peu plus chaque jour et que le toubib pourra tout au plus ralentir un peu le processus.
Cette femme est déplacée dans cet endroit. Ah oui, la fleur rouge sur la table, celle – là, j´ai bien l´impression que la femme la regarde de par – dessous ses paupières mi – closes. Cette fleur là nous renvoie – t – elle une lueur d´espoir ?
L’hortensia, oui, très pâle, plutôt gris que bleu, trônait sur la table. Elle ignorait qui l’avait mis là, cette plante triste qui finirait dans un cou du jardin. Elle avait attrapé la grippe et penchée sur son livre elle avait du mal à se concentrer et somnolait. La table couverte d’une nappe blanche serait abîmée, elle le dirait à Marcelline. Qu’avait elle en tête cette fille, on n’en ferait jamais rien, elle venait de la campagne … aucune éducation… juste lire et écrire. Bien sûr elle prétendrait que c’était Monsieur et ce serait presque vrai mais si on laissait Monsieur mener la maison … un désastre… Monsieur aurait acheté cet hortensia … la fleuriste avait … ah oui la petite fleuriste du coin du boulevard, mignonne et toute fragile, celle où toussait à fendre l’âme, pauvre gamine … elle avait dû trouver en Monsieur un client compréhensif… ma foi on pouvait parfois se montrer charitable … elle n’y voyait pas bien … ses yeux … une tâche rouge sous la plante … une rose on dirait … c’était trop fort … la nappe, celle de sa grand mère … aurait une tache indélébile… Marcelline, Marcelline … oui ma fille, je vous appelle … cette rose, oui, la rose rouge, il lui faudrait un vase, un petit vase … en verre … vous voyez, ma petite… Monsieur, oui, il n’y connaît rien … il ne dira rien … pour moi, pour me faire plaisir ? Comme c’est gentil … faites moi un thé bien chaud … Monsieur rentrera tard … tant mieux … un consommé suffira, je vais me coucher tôt. Merci Marcelline, vous pouvez disposer ma fille, allez ….
Texte de Martine
Les Hortensias d’Elena
Les Hortensias dans le jardin d’Hendaye, c’est ce qui avait plu à Elena, l’avait émue au point qu’elle avait achetée cette petite maison, pour elle et pour Manuel, l’homme dont elle était tombée amoureuse et qui pour elle avait quitté foyer, cabinet médical en Bretagne pour venir s’installer au pays Basque français et vivre avec elle. Alors ils s’étaient mariés et elle avait acquis à leurs deux noms cette bâtisse ancienne modeste dont le jardin constituait le charme et abritait l’intimité de leur couple , à distance de leurs familles respectives si présentes.
Basques espagnols, ils l’étaient tous les deux. Manuel s’était exilé en France , sur la côte Bretonne, s’y était installé comme médecin psychiatre. Il avait une clientèle importante et le respect de ses collègues, apprécié pour sa discrétion et sa sensibilité, Avec ses revenus, il faisait vivre sa famille , sa femme infirmière qu’il avait épousée au début de son installation, ses enfants entraient dans l’âge adulte lorsqu’il avait connu Elena, une collègue psychologue, rencontrée à des séminaires parisiens qu’ils fréquentaient tous deux.
Elena était riche, très riche. Héritière avec deux sœurs et un frère d’une énorme fortune. Les trois sœurs vivaient dans des maisons mitoyennes dans un quartier chic de Bilbao. Dans la sienne, Elena avait remplacé le jardin par une piscine paysagée , elle n’aimait pas ni les fleurs , ni le jardinage. A 60 ans, c’était une belle femme qui en dehors de son travail à son cabinet à temps très partiel , se consacrait au maintien de son physique, pratiquant dès le matin les espaliers qu’elle avait installé chez elle ou nageant dans sa piscine et lisant des heures durant , ne s’interrompant que pour aller , seule , au cinéma. Elle jouait très bien au golf que lui avait appris autrefois son père, lequel en était champion. Elle avait peu d’amis, n’appréciait pas les rencontres amicales.
La maison de Bilbao n’était pas décorée, juste quelques tableaux, pas de fleurs qui auraient nécessité un entretien, une allure monacale qui, peut être lui rappelait le pensionnat de religieuses anglaises ou les trois sœurs avaient grandi et fait leurs études.
A l’époque où elle rencontra Manuel, elle cherchait un homme , espagnol et basque, il était le seul correspondant à ces critères, elle avait jeté son dévolu sur lui , était tombée amoureuse. Il avait quitté son foyer , divorcé, s’était à nouveau exilé dans un retour au pays où il ne vivait plus depuis des décennies. Pragmatique, toujours , Elena avait entrepris avec ses inséparables sœurs et la famille de sa nièce la vente des trois maisons et la construction d’un immeuble luxueux dont chacune occuperait un étage avec une terrasse, Manuel et elle occuperaient le premier étage, il y aurait une piscine, toujours pas de jardin. Elle venait depuis quelques mois d’y emménager après plus de deux ans de constructions et de travaux.
Dans l’appartement qu’elle avait acquis sur l’ile saint louis pour venir à Paris pour sa formation et ses séminaires , il y avait une terrasse avec des nombreuses plantes, des rosiers, un géranium magnifique, un bambou japonais, des lianes de fleurs magnifiques. Elena n’en avait pas voulu, refusant de l’entretenir alors qu’elle ne vivait pas à Paris et obturant de stores les fenêtres pour masquer le vis à vis de ce fait offert à ses voisins . Elle renonçait du même coup à sa vue sur les tours de Notre Dame sans état d’âme. L’ancienne propriétaire avait, choquée, emporté ses plantes avec elle. Cela faisait quelques mois qu’elle avait vendu cet appartement qu’elle possédait depuis 10 ans , où Manuel et elle s’étaient connus et où ils partageaient leur vie entre
Paris, la Bretagne tant qu’il n’eut pas déménagé son cabinet, et Bilbao.
La maison d’Hendaye avait été un coup de foudre et les hortensias bleus étaient devenus la passion d’Elena qui entretenait avec soin leur couleur. Cette vieille bâtisse biscornue tranchait avec la fonctionnalité habituelle de ses demeures lui rendait présente la nature et la vie végétale. Manuel y vivait et avait son nouveau cabinet dans la ville, ils y passaient des week end seuls, des vacances. Elle était trop petite pour accueillir la famille, elle n’abritait que leur couple de solitaires réunis, Elena , à 60 ans s’autorisait une vie intime et amoureuse.
Tout était allé très vite, ces derniers mois. Dès le mois de janvier, les évènements s’étaient succédés :, la vente de l’appartement parisien, la mort à plus de cent ans de sa mère , une enfant éternelle vivant entourée des dames de compagnie qui la servaient et sur qui veillait Elena qui disait ne l’aimer guère, son père disparu depuis 10 ans ayant eu l’exclusivité de son amour et de son admiration. l’emménagement dans le nouvel appartement à Bilbao, la demande de retraite de Manuel qui viendrait y vivre.
Elle était allongée sur son lit d’hôpital, une perfusion lui diffusait la chimiothérapie qui la rendait nauséeuse et hors d’elle même et de sa pensée, projetée dans ses sensations physiques, y compris la chaleur excessive de ce mois de juillet. Une seringue à morphine la maintenait dans un état comateux. Quelques jours plus tôt elle s’était rendue aux urgences à Bilbao, prises de violentes douleurs abdominales. Un cancer de l’ovaire envahissant le péritoine et les organes intrapéritonéaux avait été diagnostiqué.
En face d’elle , sur le mur, un surprenant tableau, une femme assise la tête recouverte d’un chapeau et sur une table, au premier plan un hortensia en pot. En l’accompagnant , désespéré, Manuel avait lu sur la porte d’entrée du services « les fleurs sont interdites dans le service d’oncologie ». Errant comme un somnambule dans la ville , il avait soudain vu ce tableau et l’avait acquis précipitamment pour qu’Elena le regarde quand elle ouvrait les yeux. Elle avait souri.
En septembre, son état s’était aggravé et elle avait été réhospitalisée , emmenant avec elle dans sa chambre son tableau à l’hortensia. Quelques jours plus tard , elle sombrait dans le coma et décédait. Le tableau suivit Manuel dans l’appartement de Bilbao où il vivait seul. Il était dans sa chambre, face à son lit. L’hortensia tout à la fois ravivait sa douleur et l’apaisait. Mutique et effondré il ne parlait à personne. Le week end il partait à Hendaye et s’occupait pendant des heures des hortensias d’Elena.
Un texte fort plein d’émotions. Style très maîtrisé et la tension est maintenue tout au long du texte qui se lit d’une traite. Merci et bravo !